Dans une nouvelle chronique au micro de RCF, Pierre Darmet rend hommage à des milliers de femmes et d’hommes : les paysagistes et les jardiniers.

 

 

Pourquoi parler des paysagistes et des jardiniers ?

Parce qu'ils sont si humbles qu’on ne connait pas assez l’extraordinaire richesse de leurs métiers ! On vit entourés de leur passage, sans le savoir. Pourtant, ce sont des professions pleines d'avenir, au cœur de la transition écologique, entre ville et nature, qui mêlent la terre et les arts. Et le secteur du paysage recrute, qu'on se le dise !

« Jardiniers » ou « paysagistes ». Quelle est la différence ?

Très bonne question ! Pierre Donadieu, qui a enseigné à l'Ecole nationale supérieure du paysage, à Versailles, dans l'enceinte du Potager du roi, créé par La Quintinie, jardinier du Roi Soleil, a publié en 2009 le livre « Les paysagistes », avec un sous-titre qui sème le doute : « Les paysagistes "Ou les métamorphoses du jardinier" ». Alors, paysagiste ou jardinier ? A l’origine, il y a le jardin, bien avant le jardinier. Pierre Donadieu l’explique très bien : « Les historiens et les écrivains parlent plus des jardins que des jardiniers ». Le jardin, c’est le fameux hortus conclusus, en latin, un petit espace clos et cultivé proche des habitations. Une portion de territoire apprivoisé, un délicat équilibre entre la nature et la culture. Un jardin nait d’une idée, d’une vision. C’est un projet. On fait un dessin qui intègre l’esthétique, la beauté, mais aussi l’utilité (que faire dans notre jardin ?) et l'écologie (comment prendre soin de ce petit lopin de terre, faire avec le déjà-là, se connecter, s’insérer dans notre environnement ?). Et ce dessin prend une forme concrète, faite de sol, de végétal, d'eau, mais aussi de bois et de pierre. Tout ceci est façonné avec la main de l’Homme, qui plante, aménage, guide, arrose, tuteure, soigne, bref aide le végétal à grandir, en tenant compte des autres êtres vivants, de la faune et de la flore et en conjuguant avec les aléas de la météo et le bouleversement du climat.

Comment devient-on paysagiste ou jardinier ?

Demandez-leur ! Les paysagistes et les jardiniers vous l’avoueront, si vous gagnez leur confiance, si vous leur laissez le temps de s’exprimer : la passion les guide. Bien sûr, il y a des formations. Et il y en a pour tous les goûts : CAP, Bac Pro, Certificats de qualification professionnelle, pour des jeunes mais aussi pour des adultes en reconversion, de plus en plus nombreux, BTS, Licences Pro, Master et école d’ingénieur. On peut également se spécialiser dans un domaine précis et devenir docteur. Et au-delà des diplômes, vu le nombre de paramètres à prendre en compte, on l’a dit, les paysagistes et les jardiniers le deviennent par l’expérience. Karel Capek, que nous citions dans notre précédente chronique sur les bourgeons, dans son livre « L’année du jardinier », le dit très bien dans le chapitre « Comment on devient jardinier ». Je le cite : « Contre toute attente, le jardinier ne sort pas d’une graine, ni d’un bourgeon […] : il devient jardinier avec l’expérience, sous l’influence du voisinage et des conditions naturelles ».

Avec autant de nuances, de facettes, il doit bien y avoir des paysagistes spécialistes.

Une seule personne ne peut pas tout faire. Oui bien sûr, il y a différentes branches. Mais tous les paysagistes et les jardiniers partagent un tronc commun. Le jardinier était d'abord indistinctement celui qui pensait le projet, cultivait les plantes, arbres et arbustes en pépinière puis les plantait et les entretenait dans le jardin. Jardinier-pépiniériste, jardinier-fleuriste, jardiniste, jardinier-paysagiste sont autant de déclinaisons apparues au fil du temps. Il y a encore quelques dizaines d’années, les jardiniers étaient formés à 4 branches, définies par Henri IV en… 1599 ! Je fais ici un clin d’œil à l’ami, au maitre Claude Bureaux, jardinier, paysagiste, auteur de nombreux ouvrages et chroniqueur télé et radio, qui avait très bien expliqué cela sur les ondes, pour une autre chaine, il y a 10 ans. André Le Nôtre, que l'économiste, écrivain et académicien Erik Orsenna a mis au centre d'un de ses livres, « Portrait d'un homme heureux », paru en l'an 2000, a probablement été le premier architecte du paysage, c'est-à-dire reconnu pour son travail de conception. Et ce n’est pas figé, on peut changer, évoluer. J’en profite pour dire « Bonjour, Bonsoir » (il comprendra) à Antoine, dit Mimile, paysagiste, qui a conduit de nombreux chantiers d’aménagement urbain et qui est maintenant horticulteur, puisqu’il cultive des plantes aromatiques et à parfums pour en faire des tisanes. Et salut à François, jardinier aujourd’hui à la tête de plusieurs centaines de ses pairs, dans l’une des plus grandes entreprises du paysage en France.

Ces jardiniers-fleuristes, pépiniéristes, paysagistes… Combien sont-ils ? Que représentent-ils ?

Tous sont réunis dans une grande famille, que l'on appelle la filière du végétal, de la fleuristerie et du paysage, réunie au sein de l’interprofession VALHOR, qui compte 180 000 actifs : les producteurs, pépiniéristes et horticulteurs, les paysagistes concepteurs, les entrepreneurs du paysage mais aussi les fleuristes et les jardineries. N’oublions pas les agents publics, les paysagistes et jardiniers des services espaces verts, nature, paysage et agriculture urbaine de nos communes. Dans les collectivités territoriales, ils sont plus de 80 000. Et puis, il y a des cousins, comme les écologues, ces spécialistes de l'écologie, au sens des interactions entre les êtres vivants et leurs milieux (une ville, une forêt, une campagne cultivée par exemple) et les naturalistes, notamment dans les associations de protection et de sensibilisation à la nature. Ne négligeons pas non plus les chercheurs, car les nombreux défis requièrent à la fois de la frugalité et de l’innovation. Au total, on peut considérer que cet « écosystème d’acteurs » comme on dit aujourd’hui de bien des secteurs pourtant éloignés du vivant, cet écosystème rassemble entre 250 et 300 000 professionnels. Ils ne sont pas toujours d'accord. En effet, il est parfois complexe de concilier la protection de la biodiversité, la recherche de services comme les ilots de fraicheur ou la gestion des eaux de pluie dont nous avons déjà parlé ici à plusieurs reprises, mais aussi l'histoire, la culture, l'art des jardins. Mais tous partagent une même passion et un même socle de connaissances, un même tronc commun nous l’avons dit dans une discipline fondamentale, qui est partout autour de nous, dont nous faisons partie. Vous l'avez devinée ? Je veux parler du vivant.

Et plus précisément, combien sont les paysagistes ?

Il y a, vous l’avez compris, les architectes du paysage, les paysagistes concepteurs, qui sont environ 3000 et les entrepreneurs du paysage, autrement dit les jardiniers-paysagistes, dont ils sont très proches. Les entreprises du paysage rassemblent 132 000 personnes, regroupées dans plus de 30 000 structures. Elles sont représentées par l'Union nationale des entreprises du paysage, l'Unep, U. N. E. P. qui, tenez-vous bien, est l'organisation qui représente ainsi le plus grand nombre d'acteurs professionnels du vivant, de la création et de l’entretien d’espaces verts, de la nature en ville, de la végétalisation, de la gestion du patrimoine arboré, de la renaturation, autant de métiers de la transition écologique dont on parle de plus en plus ! Pour faire simple, retenons ceci : les paysagistes d’une manière générale sont des métiers d’avenir, indispensables pour bien vivre dans une planète en surchauffe, au climat déréglé et à la biodiversité en passe de s’effondrer. Le Président de la République Emmanuel Macron lui-même ne s’y est pas trompé, le 16 janvier 2024, dans sa conférence de presse, en mentionnant simplement « Les paysagistes » pour mieux souligner le rôle central de ce métier, dans toute sa diversité. Je le cite « Grâce à nos paysagistes, grâce à de l’innovation industrielle, grâce à certains investissements, on adaptera nos territoires à l’évolution des risques. » La tâche est immense mais les paysagistes sont prêts !

Et le mot de la fin ?

Il revient à Yves-Marie Allain, ingénieur horticole, éminent jardinier ET paysagiste, qui a entre autres dirigé le Jardin des plantes du Museum national d’histoire naturelle et écrit de nombreux ouvrages dont celui-ci « Le jardinier en 100 citations », paru en 2017. Yves Marie Allain écrit : « Quel est donc ce jardinier, celui qui croit en l’avenir de ce qu’il a entrepris, qui croit à la richesse incommensurable de ce substrat qui fait sommeiller, dormir puis réveiller graines et bulbes, bourgeons et boutons ? ». Yves-Marie Allain le précise très tôt dans ce même ouvrage « Plus que tout autre métier, le jardinier est un personnage littéraire ». Car le jardinier cultive le corps et l’esprit ! Les mains dans la terre, les pieds sur terre, la tête dans les nuages.