Au micro de la radio RCF, Pierre Darmet, évoque l'impact majeur du végétal dans notre quotidien. A la fois source d'éveil, d'apprentissage et de lien social, le jardin joue également un rôle sur notre santé. À tel point que, certains établissements de santé ont intégré des jardins thérapeutiques pour favoriser l'état de bien-être des patients et de leur guérison.

Bonjour Pierre, pour conclure cette saison de chroniques, nous avons choisi de partager avec nos auditeurs les bienfaits du jardin sur la santé. Plus particulièrement, aujourd’hui, nous allons déambuler dans un jardin à visée thérapeutique.

Tout d’abord, Pierre, qu’y a-t-il de commun entre le jardin et la santé ?

On entend régulièrement parler des vertus du jardin pour le bien-être, pas pour la santé à proprement parler. Et pourtant, les deux sont liés. La santé a été définie par l’OMS, l’organisation mondiale de la santé, et ce dès 1946, comme, je cite « un état de bien-être complet et non uniquement par l’absence de maladie ». Les spécialistes parlent de la salutogenèse, du latin salus, la santé, par opposition à la pathogenèse, du grec pathos, la maladie. Cette notion considère en quelque sorte que l’apparition d’une maladie est liée à une dégradation de l’état de bien-être.

Quels sont les bienfaits du jardin sur la santé ?

Je vais tout simplement rapporter ici les propos récents de Gilles Galopin, enseignant chercheur en biologie végétale à l’Institut Agro, pionnier de recherches liant les sciences du végétal et de la santé. Il nous dit : « Le jardin nous accompagne tout au long de notre vie. Dans l’enfance, il nous aide à découvrir le monde vivant avec sa complexité, sa richesse et sa fascination. Ses rôles éducatif et d’éveil sont évidents. Dans notre vie d’adulte, il sera souvent un refuge apaisant dont les vertus permettront de réduire le stress de la vie quotidienne. Par la stimulation de l’attention spontanée et la captation mentale, il contribuera à la pleine conscience et à la réduction de la fatigue mentale. La pratique du jardinage en travaillant le sol et en prenant soin des plantes contribue à l’enrichissement de nos microbiotes. Elle favorise aussi l’activité physique, le partage et le lien social. Le jardin reste également un ami fidèle pour accompagner notre phase de vie vieillissante. Il constitue un fil conducteur rythmé par les jours et les saisons. Les périodes de croissance, de repos, de production de fleurs ou de fruits par les végétaux, constituent un attachement à la vie. Dans notre société contemporaine, bien que le jardin se soit effacé au bénéfice d’une vie plus urbaine et d’un rythme accéléré, il permet de connecter ou reconnecter l’humain au monde du vivant. » Le jardin constitue donc un facteur de ressourcement qui contribue toute notre vie à notre bien-être et à notre bonne santé.

La démonstration est implacable. Quelles raisons pourraient expliquer ces bénéfices ?

On peut notamment invoquer les travaux d’Edward Owen Wilson, que nous avons déjà cité ici, qui était un écologue et l’un des pères de la biodiversité. Wilson formule l’hypothèse selon laquelle l’être humain a besoin de relations avec les autres formes du vivant, qu’il appelle la « biophilie ».

Est-ce plutôt le jardin ou la pratique du jardinage qui est bénéfique pour la santé ?

L’un ne va pas sans l’autre. Il est important tout d’abord de noter que c’est le jardin lui-même, incluant le cadre physique du jardin et les activités qui y sont développées qui est considéré comme thérapeutique et non pas uniquement « le travail de la terre », comme cela était considéré à la fin du XVIe siècle. Autrement dit, c’est bien le jardin dans son ensemble et pas uniquement le « travail au jardin » qui est salutaire pour la santé.

Quelle définition plus précise du jardin à visée thérapeutique pouvons-nous donner ?

Il nous arrive, au cours de notre vie et en phase de fin de vie, de développer des pathologies qui altèrent notre santé et pour lesquelles le jardin peut être d’un apport précieux aux côtés de la médecine classique, dite « allopathique ». Le chirurgien en oncologie Gérard Lorimier et Gilles Galopin, que nous avons déjà cité, indiquent que c’est « Un jardin associé à un établissement de soin (social, médico-social et sanitaire) dont l’usage s’inscrit dans l’accompagnement thérapeutique du patient pour favoriser son état de bien-être et sa guérison. Il contribue également au bien-être de l’ensemble de la communauté soignante et accompagnante optimisant de ce fait la résilience des patients » L’association Jardins & Santé nous éclaire également : « Permettant de créer un univers à la fois clos et sécurisant mais aussi ouvert au monde et vivifiant, le jardin à visée thérapeutique crée des situations de bien-être et de confort où les choses sont liées entre elles. Il s’agit non seulement d’offrir la possibilité de vivre dans un jardin, mais aussi de participer à sa création, à son évolution, d’en prendre soin ». Un jardin à visée thérapeutique est donc à la fois un espace clos, délimité, conçu pour des usages bien spécifiques dédiés au bien-être. Cela renvoie là à l’origine du mot jardin, hortus en latin, qui désigne un espace clos.

Quels sont les dimensions à prendre en compte pour créer un jardin à visée thérapeutique ?

Un jardin à visée thérapeutique n’a pas besoin d’être grandiloquent. Ce n’est pas le plus complexe, le plus grand, le plus onéreux des jardins. Il doit être pensé, imaginé par un paysagiste concepteur, en lien avec les équipes médicales et les animateurs du jardin. Retenons comme principe général qu’un jardin à visée thérapeutique offre des espaces de repos, de respiration et d’autres qui suscitent l’attention. Il peut en effet s’adresser à des personnes atteintes de troubles psychiques comme l’apathie, la dépression ou l’agitation. C’est aussi un lieu où les familles et les patients peuvent se retrouver. Enfin, l’animation est aussi importante que la conception.

Quelles animations peut-on proposer, justement ?

La palette d’activités est large. Il y a des ateliers encadrés, mais on y favorise aussi l’autonomie des personnes. Le jardin peut être à la fois un lieu qui favorise la médiation animale, un lieu dans lequel les personnes qui se promènent sont stimulées par le bruit d’une fontaine ou les essences de fleurs, un lieu propice aux retrouvailles familiales. On parle d’hortithérapie, d’art-thérapie, de thérapie sensorielle, etc. L’important est que les animations soient créées avec l’ensemble de l’équipe soignante au sens large.

Concrètement, à quoi peut ressembler un tel jardin ?

Il y a autant de formes de jardins que de projets médicaux. Pour vous donner un exemple, je vous propose une immersion dans le jardin de la paysagiste conceptrice Florence Gottiniaux, du cabinet Outside, membre de la Fédération jardins, nature et santé, imaginé pour l’événement Jardins, jardin aux Tuileries. Mieux que de la paraphraser, je vous propose d’écouter ses propres mots : « La nature ne se tait jamais, elle bruisse de mille sons, chuchotements et pépiements, pour mieux assourdir notre vacarme intérieur. Plusieurs espaces permettent à chacun de vivre la nature comme il en a besoin, suivant sa fatigue mentale, son besoin de solitude, ou son désir de faire corps avec un groupe lors de séances d’hortithérapie ou d’écothérapie. Le jardin lui-même, plus que l’équipe soignante, accompagne un patient, en (r)éveillant ses sens : l’odeur du basilic y est plus familière que celle du désinfectant, la douceur d’une menthe laineuse efface la blancheur aseptisée de l’hôpital, et l’écoulement paisible de l’eau aide à cicatriser des blessures et fragilités. Le geste simple de semer une graine immerge totalement les patients (et soignants) dans le vivant. Il leur fait prendre soin à leur tour et les reconnecte en les décentrant de leur handicap ou de leur maladie. Le jardin devient un projet, porté seul ou à plusieurs, qui opère une véritable rééducation, physique et psychologique ; binettes et arrosoirs agissent en remèdes. La reconstruction commence par un retour aux racines : la nature. »

C’est superbe. Cela donne envie de visiter de tels jardins, même si l’on n’est pas malade. Et j’ai bien compris que cela ne pouvait que nous faire du bien, car être en bonne santé commence par prendre soin de notre bien-être.Vers quels acteurs pouvons-nous nous tourner, pour visiter de tels jardins ou initier un tel projet ?

Le sujet a pu émerger, vit et se développe grâce à des associations. Parmi elles figurent deux organisations nationales que nous venons d’évoquer : l’association Jardins & Santé, qui cherche à rendre les jardins à but thérapeutique plus accessibles dans leur mise en place et leur pérennisation et la Fédération jardins, nature et santé, qui fédère les acteurs du secteur. Je vous invite également à visiter le site internet de Romane Glotain, qui préside l’association « Le jardin des Maux passants », et qui a effectué en 2021 un tour de France des jardins à visée thérapeutique. Romane est membre de la Fédération. Les responsables d’établissements ou les aidants familiaux peuvent s’appuyer sur un guide pratique, mis en ligne en 2020 grâce au concours de la Fondation Médéric Alzheimer.

Quels sont les défis pour les années à venir ?

L’enjeu est maintenant d’engager des recherches liant médecine et sciences du végétal, pour définir objectivement les ressorts de ces jardins et assurer leur reconnaissance et leur développement, aux côtés d’autres leviers de santé. Une évolution majeure est à noter dans l’actualité politique : le Ministère en charge de la santé se nomme, depuis la dernière élection présidentielle, « Ministère de la santé et de la prévention ». C’est un signal fort pour l’ensemble des acteurs qui agissent pour le bien-être de nos concitoyens et sur l’ensemble des facteurs de prévention.

Un dernier message ?

Je voudrais enfin saluer ici une formidable équipe qui, en quelques semaines, a permis de mettre ce sujet encore méconnu à l’honneur de l’événement Jardins, jardin aux Tuileries : Marie-Clotilde Debieuvre, Maïté Delmas, Virginie Le Tarnec, la paysagiste-conceptrice Florence Gottiniaux, l’entrepreneur et jardinier-paysagiste Philippe Walch, ainsi que l’équipe de l’entreprise La Générale d’Aménagements : Matthieu Blain, François Chotte, Stéphane Glajean et Kevin Perreau, projet que j’ai eu le plaisir de mener avec la complicité de Gilles Galopin de l’Institut Agro Rennes Angers. Merci Pierre. Vous retrouvez cette chronique, ainsi que toutes celles de la saison en podcast sur notre site internet, rcf.fr. A bientôt Pierre et bel été. Merci Marie. Bon été à toutes et à tous. Portez-vous bien. Cultivez votre jardin. Et surtout… Restons en lien